Voix de Gausson : 20 décembre 1914

Depuis le 15, je ne suis plus au rang des combattants. Je suis infirmier régimentaire, c'est-à-dire attaché à mon régiment et non à une section d’infirmiers. Il en manquait un, on est venu me chercher. J’ai accepté, un peu triste de quitter ma compagnie où je m’étais fait des amis mais persuadé d’ailleurs que je n’avais qu’à m’exécuter. Depuis que je suis non-combattant, je n’ai plus ni fusil, ni baïonnette, ni cartouches. Quand j’irai sur le champ de bataille relever les blessés, il me faudra couper un bâton dans le bois.

Aujourd’hui, je vous écris cette lettre sur le seuil de mon « gourbi » pendant que l’honorable compagnie lit le journal ou fume des pipes à l’intérieur. Pas besoin de vous dire que les obus éclatent dans les environs, c’est trop ordinaire.
Notre « gourbi » que nous avons construit nous-mêmes, est un abri assez fortifié : 1m50 de creux dans la terre, plus 0m60 de parapet en mottes de terre du côté de l’ennemi. Sa charpente est en troncs d’arbres rapprochés. Nous l’avons recouverte de branches, de paille, de mottes et d’une couche de terre. Depuis près d’un mois et demi, nous ne bougeons guère de place aussi nous nous faisons des abris. Nous n’avons pas fait le nôtre très grand, n’étant pas de bons terrassiers et craignant un peu le froid. La nuit prochaine, X… et moi, nous n’y coucherons pas, étant détachés pour suivre nos bataillons respectifs qui partent pour les tranchées en première ligne. Nous serons absents pendant 2 jours et 2 nuits, après quoi nous reviendrons tous nous reposer en arrière.

Je me porte bien pour le moment, et n’ai pas trop souffert de la guerre. Je commence à la trouver longue, voilà tout.

La soupe arrivant, et comme je suis obligé de me préparer pour partir un kilomètre plus loin, j’abrège ma lettre et vous renvoie à un de ces jours.

A bientôt

A. L. P